Dans cette seconde partie du chapitre inédit de Motivational Interviewing : Preparing People For Change que nous publions, Stephen Rollnick et al. s’intéressent aux points communs existant entre les différentes interventions en faveur de changement de comportement (conseil bref, conseil en changement de comportement, entretien motivationnel). Ils en déduisent des implications partiques et cliniques quant à l’articulation des différentes adaptions de l’entretien motivationnel.

Éléments communs : l’esprit des entretiens en faveur du changement de comportement

Il y a un vrai challenge à relever lorsqu’on évoque les comportements : praticien et client ne se retrouvent pas toujours sur un terrain d’entente quand il s’agit de leurs aspirations au changement (voir Rollnick et coll., 1999). On peut même parfois sentir dans l’atmosphère, une tension palpable. Des sentiments de désengagement, d’optimisme, d’espoir, de peur du conflit imminent peuvent alternativement se percevoir, parfois exprimés, souvent non. Chacune des trois méthodes décrites dans le tableau précédent est une tentative de se frayer un passage constructif à travers ce type de discussion, d’éviter le réflexe correcteur, et d’encourager. Comme l’énonce souvent l’un de nous (Allison), il s’agit de danser plutôt que de lutter. Le danger d’une liste comme celle du tableau est qu’elle ne rend pas correctement le ton moins tangible de la consultation. Toutes ces méthodes requièrent d’être souple, de tolérer l’incertitude, d’autoriser le silence pour générer le sérieux mais pas forcément l’anxiété, et – particulièrement avec le conseil de changement de comportement et l’entretien motivationnel – la capacité à se retenir de fournir des solutions et des arguments en faveur du changement.

Quelques implications

Pratique

Comme le tableau l’indique clairement, ces trois méthodes pour aborder le changement de comportement ne sont pas entièrement séparées. D’une certaine façon elles se superposent tout en comportent quelques caractéristiques distinctes, comme trois styles différents de cuisine régionale peuvent varier. Comment choisir la méthode à utiliser ? Nous avons suggéré que le choix était largement déterminé par le contexte : le temps disponible, et l’engagement ou non du client dans une demande d’aide à propos d’un problème de changement de comportement. Nous avons aussi sérieusement pensé que les méthodes les plus intensives étaient mieux suivies par les clients aux problèmes rebelles. Alors que cela paraît cohérent pour nous en tant que praticiens, nous hésitons à ce stade à aller au-delà de la description des méthodes décrites de par le monde pour tenter d’adapter les méthodes de traitement aux caractéristiques des patients, sachant comme il a été difficile pour la recherche d’adapter les problèmes des clients aux différents traitements.

On doit être attentif à ne pas sous-estimer la question de l’habileté dans la pratique de ces méthodes. Il est tentant de considérer l’entretien motivationnel, la méthode la plus complexe, comme la plus délicate. Cependant, le conseil bref, méthode la plus simple sur le plan conceptuel, peut s’avérer moins simple à utiliser qu’on ne le pense. Quiconque a déjà rencontré une situation comme celle du travailleur social dans le premier exemple, sait que l’utilisation du conseil bref dans un tel contexte requiert un haut niveau de compétence. En effet, de nombreux praticiens expérimentés ont du mal, après une carrière faite de plusieurs milliers de consultations, à constater que l’expérience leur enseigne à simplifier leurs compétences de communication, par exemple en utilisant des questions plus courtes, des phrases témoignant de leur écoute empathique, et en évitant des objectifs trop ambitieux à leur consultation. Un cuisinier expérimenté le répétera : tout l’art est de savoir quoi enlever plutôt que quoi rajouter. Le conseil bref, bien mené, peut avoir d’habiles qualités, à la hauteur de la sophistication de l’entretien motivationnel. Le temps et les ressources sont souvent des considérations cruciales. Le conseil bref peut représenter une réponse effective à la limitation des ressources. Il peut aussi répondre aux considérations éthiques sur l’intrusion dans les affaires personnelles d’un client qui consulte pour une quelconque autre raison. Le choix de la méthode à utiliser nécessite d’évaluer le type de compétences requises pour la situation considérée.

Lorsqu’ils lisent le tableau, les praticiens s’interrogent inévitablement sur la méthode à utiliser en comparant leurs propres compétences avec celles listées. A travers l’auto-formation, la supervision et les formations, il devrait être possible d’identifier des lacunes dans l’éventail de leurs compétences. Après avoir observé ce cadre, un praticien pourrait dire : « je voudrais me mettre à l’entretien motivationnel, mais après avoir examiné ce tableau, je réalise que l’écoute réflective devrait avoir plus de place dans ma pratique. Mais voyons, qu’est ce que c’est exactement l’écoute réflective ? En quoi cela consiste ? Comment apprendre ces compétences et comment les mettre en pratique ? »

Apprentissage et formation

Ces thèmes sont abordés dans les chapitres 13 et 14 et sont aussi identifiés comme un sérieux défi pour la santé publique dans le chapitre 17. Les implications pertinentes ici sont celles du cadre théorique présenté dans ce chapitre. Nous souhaitons surtout qu’il aidera les stagiaires à savoir se situer sur le spectre des interventions sur le changement de comportement, et à décider quelles compétences seraient nécessaires à leur pratique, en cohérence avec une méthode donnée. Les formateurs devraient être capables d’établir, conjointement avec les praticiens, des objectifs d’apprentissage. Au cours de la formation, ce cadre permet d’évaluer de leurs progrès et de considérer à quel point les praticiens doivent ajouter de nouvelles compétences à leur répertoire.

La liste des compétences de le tableau est loin d’être exhaustive, ou le dernier mot sur le sujet. Les formateurs pourraient interroger les praticiens sur la validité des compétences de leur point de vue. Qu’est ce qui devrait être laissé de côté, qu’est ce qu’il serait nécessaire de rajouter ? Les catégories de ce tableau peuvent-elles être validées ? Sur quel support empirique reposent-elles ?

Parmi les implications les plus spécifiques pour l’apprentissage qui émergent de ce cadre théorique, il y a ce qui demandera le plus d’effort pour obtenir les compétences en entretien motivationnel ; ce qui dans l’apprentissage du conseil bref et du conseil pour le changement de comportement, rend souvent nécessaire d’encourager les praticiens à « ne pas faire » les choses, à « désapprendre » les vieilles habitudes classiquement associées au fait de dire ou de ne pas dire aux gens comment ils pourraient changer, ou à l’utilisation d’un style d’entretien confrontant. Certains praticiens, compte tenu de leur formation, de leur cadre de travail et de leurs intérêts pourraient ne pas vouloir ou ne pas pouvoir se sentir faits pour certains types d’intervention . Et les formations universitaires et post-universitaires pourraient se focaliser d’emblée sur le conseil bref ou sur certains éléments clés du conseil de changement de comportement.

Recherche

Poursuivant le but de ce chapitre, afin de clarifier le fonctionnement interne des efforts de changement de comportement, il est une implication pour la recherche particulièrement frappante – l’évaluation d’une intervention complexe n’est pas une mince affaire. Ceux qui demandent des subventions pourrait trouver le cadre théorique proposé dans ce chapitre utile pour identifier et comprendre la méthode à évaluer. Les études tireront profit du travail de développement précédant la question finale sur l’efficacité d’une méthode donnée (cf. chapitres 16 et 17). Cela pourrait comprendre la formulations des questions suivantes :

  • A quoi ressemblent les pratiques existantes, et quelles sont les compétences utilisées par les praticiens ?
  • Comment une méthode donnée peut-elle trouver sa place dans ce contexte ? Quelle combinaison de compétences et de méthodes convient le mieux dans cette situation ? Quelles sont les réactions des clients ?
  • Comment les praticiens ont-ils acquis au mieux les compétences durant les formations ? Quelles méthodes de formation ont-elles été utilisées ? Les praticiens sont-ils capables d’appliquer ces compétences en situation réelle de consultation ?
  • La délivrance de la méthode est-elle convenablement surveillée avec des outils de mesure valides et fiables ?

Cette liste est loin d’être exhaustive négligeant, par exemple, l’évaluation des résultats. Cependant, elle démontre, qu’à moins de prêter attention à ce que font habituellement les praticiens en formation et en consultation réelle, les conclusions d’une étude seront inévitablement teintées de réserve et d’incertitude, sujet qui revient clairement tout au long de la revue du chapitre 16.

Les adaptations brèves revisitées

A la lumière du tableau, on pourrait conclure, que par défaut, beaucoup des adaptations abordées dans les chapitres 16, 17, et 20-24 sont des exemples de conseil de changement de comportement ou même de conseil bref. Comme les compétences utilisées par les praticiens impliqués ne sont pas très clairement explicitées, nous sommes obligés de spéculer cette dernière affirmation. La première étude sur une adaptation, (Rollnick et coll., 1992) a utilisé une méthode raisonnablement bien documentée, nommée, sans doute ambitieusement, entretien motivationnel bref. Cependant, l’utilisation subtile de l’écoute réflective ne faisait pas partie de cette méthode et le déroulement de l’entretien n’était pas à proprement parlé surveillé. Le fait que les clients changeaient – qu’ils pouvaient s’être engagé dans le discours-changement dans les conditions difficiles d’un service hospitalier – ne signifiait pas que les praticiens impliqués utilisaient l’entretien motivationnel. Le cadre théorique présenté ici devrait permettre ces développements d’adaptations de l’entretien motivationnel afin d’éviter ce type d’inexactitudes.

Conclusions

Si on jette un œil sur les dix dernières années de l’entretien motivationnel et de ses dérivés, on pourrait avoir l’impression que les praticiens, les formateurs et les chercheurs ont appris tout le long du chemin ! C’est en grande partie vrai. Le processus initial a indubitablement joué un rôle majeur dans le développement des méthodes, alimenté par les rencontres cliniques, les expériences de formation et le défi lancé par la tentative d’évaluer l’efficacité et l’efficience. Cela a entraîné de la confusion sur quelle méthode apprendre, pratiquer et évaluer, et cela a aussi été source de créativité. L’objectif de ce chapitre était d’encourager cette activité à aller plus loin sur une base de compétences plus solide, à l’abri d’une erreur possible dans la gamme variée des noms de méthode. Trois méthodes qui varient dans leur complexité ont été proposées comme des voies possibles.

Dans certains lieux où la recherche d’une méthode vraiment brève était liée au désir de posséder quelque chose d’applicable à ou sur les gens, il y eu sans aucun doute la tentation de faire un truc rapide. En fait, un échange de haute qualité sur le changement de comportement est une démonstration d’habileté qui n’équivaut pas à suivre une recette. Le truc technique pourrait donc exister, mais il n’est certainement pas basé sur l’entretien motivationnel, le conseil de changement de comportement, ou les méthodes centrées sur le patient.