Brève histoire du discours-changement

Le terme de « discours-changement » n’apparaît pas dans la première édition de L’entretien motivationnel. Dans l’ouvrage de 1991, comme dans l’article princeps de Miller en 1983, c’est le terme de « déclarations d’auto-motivation » qui décrit la large catégorie des éléments de discours favorisant le changement. Il y a quatre sous-types de déclarations d’auto-motivation dans cette première édition (Miller et Rollnick, 1991) :

  • Les avantages du changement
  • Les désavantages du statu quo
  • L’optimisme concernant le changement
  • L’intention de changer

En préparant la seconde édition, Miller et Rollnick se sont attachés à répondre aux remarques des formateurs à qui le terme de « déclaration d’auto-motivation » paraissait un peu difficile à utiliser et ils ont forgé le mot « discours-changement » qui leur est apparu comme l’alternative la plus simple. Ainsi, dans la seconde édition (Miller et Rollnick, 2002), le « discours-changement » est-il utilisé comme synonyme, et à la place des déclarations d’auto-motivation, tout en gardant les mêmes sous-catégories.

Cette définition du discours-changement a aussi été utilisée dans la première version du Motivational Interviewing Skills Code (MISC 1.0 ; Moyers, Martin, Catley, Harris et Ahluwalia, 2003). Cependant, plusieurs études ont échoué à mettre en évidence un lien prédictif entre le discours-changement ainsi défini (dans l’ouvrage et le MISC 1.0) et l’évolution en terme de changement de comportement (Miller, Benefield et Tonigan, 1993 ; Miller, Yahne et Toigan 2003 ; Peterson, 1997).

Par la suite, Paul Amrhein après analyse psycholinguistique de séances d’entretien motivationnel a proposé une façon différente de coder le discours du client dans un entretien motivationnel (Amrhein, Miller, Yahne, Palmer et Fulcher, 2003). Son système a débuté par la proposition d’un objectif spécifique, et tout particulièrement le changement de comportement considéré.

Voici quelques exemples de tels objectifs comportementaux :

  • Arrêter de fumer
  • Me sevrer ou arrêter de boire
  • Contrôler ma glycémie
  • Baisser ma tension artérielle

En lien avec ces objectifs spécifiques, le client exprime des éléments modificateurs comme :

  • Désir : J’aimerais arrêter de fumer
  • Capacité : Je serais capable d’arrêter de fumer
  • Raisons : Fumer aggrave vraiment mon asthme
  • Besoins : Il faut que j’arrête de fumer
  • Engagement : Je vais arrêter de fumer

Par ailleurs, les résultats d’Amrhein objectivent un processus séquentiel dans lequel désir, capacité, raisons et besoins (DCRB) ne sont pas eux-mêmes prédictifs du changement de comportement mais prédictifs de la solidité de l’engagement au changement du client. A son tour, l’intensité du langage d’engagement est prédictive du changement de comportement (en l’occurrence l’abstinence en ce qui concerne la consommation de drogue). Ces données renforcent l’importance de différencier le langage d’engagement des autres types de discours-changement.

Puis, une expérience dans le codage du discours-changement a mis au jour une catégorie supplémentaire qui n’était pas incluse dans le système original d’Amhrein. Appelée « premiers pas », elle comporte les phrases qui indiquent que la personne a mis en œuvre des actes spécifiques en direction de l’objectif de changement. Les études montrent que le fait d’avoir fait ces premiers pas est aussi prédictif du changement de comportement considéré et, de ce point de vue, peut plus être assimilé à de l’engagement que les catégories DCRB.

Recommandations

1 – Le discours-changement est un terme générique

Afin de rendre le plus clairs possible les écrits et formations à venir, nous recommandons d’utiliser le terme de ‘discours-changement’ pour regrouper les six catégories de déclarations d’auto-motivation : désir, capacité, raisons, besoins, engagement et premiers pas.

2 – Le discours préparatoire décrit DCRB

D’après les recherches d’Amrhein, les phrases exprimant désir, capacité, raisons et besoins ne sont pas directement prédictifs du changement de comportement, mais sont plutôt préalables à l’augmentation de la force de l’engagement. Il est donc utile de disposer d’un terme qui recouvre DCRB et de différencier ce langage de celui de l’engagement et des premiers pas. Nous recommandons d’utiliser le terme de ‘discours préparatoire’ pour se référer spécifiquement à ces quatre catégories de langage (DCRB)

3 – Le discours-maintien décrit le langage en faveur du statu quo

Le discours spontané contient aussi des phrases de désir, capacité, raisons, besoins et engagement qui favorisent plus le maintien du statu quo que le changement. Nous recommandons d’utiliser le terme générique ‘discours-maintien’ (proposé par Jeff Allison) pour regrouper ces phrases allant à l’encontre du changement.

4 – La résistance est à distinguer du discours-maintien

Enfin, nous recommandons une utilisation plus limitée et spécifique du terme de « résistance ». Jusqu’à présent dans les écrits et les formations, la « résistance » était souvent assimilée aux arguments en faveur du statu quo (le discours-maintien en l’occurrence). Cela posait problème dans le sens que devenait pathologique un phénomène normal de verbalisation du versant de l’ambivalence en faveur du statu quo. Il y a pourtant une classe significative de comportement des clients qui ne constitue pas du discours-maintien mais qui est le signal d’une dissonance dans la relation et est inversement corrélée au changement de comportement (Chamberlain, Patterson, Reid, Kavanagh et Forgatch, 1984 ; Miller et coll., 1993). Ce sont les comportements comme : interrompre l’intervenant, être en désaccord avec lui ou ne pas tenir compte de lui, changer de sujet. Nous recommandons d’utiliser spécifiquement le terme de « résistance » pour de tels comportements et de le distinguer du discours-maintien.

5 – Il n’y a pas de niveau zéro à la solidité de l’engagement

En ce qui concerne la codification de l’intensité du discours-changement – par exemple sur  une échelle de Likert1 -, nous nous accordons sur le fait qu’il ne devrait pas être utilisé de valeur zéro. De telles échelles peuvent être unipolaires et coter la valeur attribuée à une proposition d’objectif (par ex entre +1 et +5) ou bipolaires avec des valeurs négatives représentant la force de l’engagement en faveur du statu quo (par ex de -5 à +5). Une version révisée du MISC (2.0) a introduit la codification du niveau du discours-changement sur des échelles de -5 à +5, les valeurs de -5 à 1 représentant le discours-maintien et les valeurs de +1 à +5 représentant le discours-changement. Qu’elle soit uni ou bipolaire, la valeur zéro ne devrait pas être utilisée dans une échelle de ce type.

Discours-changement Discours – maintien Résistance
Discours préparatoire

Désir

Capacité

Raisons

Besoins

Engagement Premiers pas Désir du statu quo

Incapacité de changer

Raisons pour le statu quo

Besoin du statu quo

Engagement en faveur du statu quo

Interrompre

Etre en désaccord

Ne pas tenir compte

etc.

Ce texte a été publié dans sa version originale dans le Mint Bulletin (2006), 13 (2). Adaption en langue française par Dorothée Lécallier.

Notes

  • 1 – Une échelle de Likert est un questionnaire psychologique permettant de quantifier les attitudes. Elle est composée d’une série d’affirmations auxquelles le sujet doit indiquer son accord sur une échelle graduée entre « complètement d’accord » et « pas d’accord du tout ». Par extension, cette dénomination désigne parfois des échelles graduées numériquement sur lesquelles il n’est pas possible de choisit de valeur non-entière. [NDT]

Références bibliographiques