Charlotte Solty, interne en Médecine Générale à la faculté de Caen, a étudié l’impact de l’utilisation de l’EM sur le plan personnel pour les médecins généralistes. Il ressort de sa thèse que les compétences acquises avec la pratique de l’EM influencent implicitement (et positivement) la relation aux autres, même en dehors de la vie professionnelle. Elle nous propose ici un résumé de son travail de thèse.

D’après la thèse d’exercice pour l’obtention du doctorat en médecine présentée et soutenue publiquement le 16 octobre 2013 à l’université de Caen par Me Charlotte Alam-Solty sous la direction du Dr Jean-Yves Herfroy.

La médecine générale évolue de jour en jour. La conférence Wonca Europe dans son traité 2002 redéfinit les compétences du médecin de famille qui doit désormais prendre en charge le patient dans sa globalité, dans son environnement, dans ses réalités économiques, socioculturelles et doit, entre autre, avoir un mode de communication approprié.

En ce début de XXIème siècle, l’intérêt et la nécessité d’obtenir des changements de comportement et des modifications de style de vie chez nos patients sont indiscutables. La prise en charge des pathologies chroniques, la lutte contre les facteurs de risque, l’amélioration de l’observance thérapeutique, les actes de prévention, l’éducation thérapeutique… nécessitent le plus souvent des changements de comportement. Chaque médecin dispose de ses propres facultés et de ses aptitudes à la communication qu’il aura su développer au cours de son exercice professionnel. Pour éviter les impasses relationnelles, ou encore éviter de prodiguer des conseils non suivis, les médecins généralistes se voient dans l’obligation de développer de nouvelles techniques de communication. L’HAS reconnait alors l’utilité de l’entretien motivationnel (EM) : l’EM, outil modélisé de la relation médecin-patient « augmente de façon bien démontrée l’efficacité des pratiques de conseil, quel que soit la nature du changement à opérer ».

L’intérêt de l’EM pour nos patients étant déjà bien démontré dans la littérature, il paraissait pertinent de s’intéresser à l’impact de l’EM sur les soignants. Ainsi, l’objectif de la thèse était de savoir ce que l’EM pouvait apporter personnellement au médecin généraliste.

Une enquête qualitative a été réalisée afin d’étudier le ressenti des médecins formés et pratiquant l’EM. Le choix a été fait de diffuser par mails un questionnaire à l’échelle nationale, à des médecins utilisateurs de l’EM.

Le questionnaire se composait de trois parties ; tout d’abord une partie introductive expliquant l’étude, puis une série de questions fermées permettant d’affiner l’analyse par la suite, et enfin des questions ouvertes, respectant l’esprit de l’EM et laissant libre champ à des réponses élaborées.

Ce questionnaire, établi sur « google doc » a été relayé par l’AFDEM à 73 médecins, dont 45 avaient bénéficié d’une formation d’approfondissement.

Après réception de 19 réponses, l’analyse des données a été faite d’une part manuellement, avec utilisation d’une grille de codage inductive, en faisant une analyse sémantique et lexicale du verbatim ; d’autre part les résultats ont été étayés par l’utilisation d’un logiciel d’analyse qualitative. Enfin, Melle Laila Benzarha, psychologue diplômée de l’université de Lille 3, a également apporté son point de vue sur les réponses.

Malgré les biais de cette étude (en particulier le faible nombre de participants et l’absence d’un entretien en direct qui aurait permis relances et recueil de toute l’information non verbale) et malgré l’absence de saturation réelle, on retrouve une récurrence des idées émises dans le verbatim. Même s’il ne s’agit pas d’un travail aussi poussé que je l’aurai souhaité, il en ressort la tendance et le courant de pensées qui suivent.

L’étude a montré une nouvelle fois que la relation soignant-soigné est améliorée par l’utilisation de l’EM. Toutes les réponses à ce sujet sont élogieuses. Cette relation passe tout d’abord par un nouvel équilibre au sein des consultations, avec « un pouvoir mieux réparti entre soignant et soigné ». Ensuite, il est décrit une meilleure communication avec « une amélioration du contact », « une relation plus confortable »qui entraîne une diminution des résistances. Par ailleurs, l’écoute améliorée par la pratique de l’EM, permet de coller au plus près des préoccupations et des attentes du patient.

Tous les praticiens sont unanimes, l’EM influence positivement la relation avec leur patient. La relation s’équilibre, l’accent est mis sur l’empathie, le patient devient le centre de la consultation et fait ses propres choix en toute confiance.

En ce qui concerne les médecins, l’enquête montre que l’EM a un retentissement positif sur la vie professionnelle. La pratique régulière de l’EM amène de la satisfaction avec « moins de déception personnelle », ou encore un « bien-être dans sa pratique et dans son éthique ». Il en ressort également une diminution du sentiment d’impuissance face aux patients difficiles. Sérénité, déculpabilisation, diminution du stress et de la frustration sont également largement décrits.

Selon l’étude, l’EM apporte aussi un regain de confiance en la capacité de prendre en charge les patients et peut redonner un nouveau souffle à la pratique professionnelle.

Les praticiens sont satisfaits et leur sentiment d’efficacité personnelle se voit renforcé. Ces résultats sont essentiels, étant donné le contexte d’exercice de la médecine actuelle et la part grandissante de l’épuisement professionnel des soignants.

Il est important de signaler que ces résultats se vérifient particulièrement chez les médecins les mieux formés à l’EM, pratiquant régulièrement et se sentant le plus à l’aise.

L’analyse de Melle Benzahra sur le ressenti des médecins tend vers les mêmes notions. Pour la psychologue, à la vue des résultats du questionnaire, les conséquences de l’utilisation de cette méthode sont plutôt favorables chez les médecins interrogés. D’un point de vue qualitatif, elle remarque une augmentation du sentiment d’efficacité personnelle (SEP) avec une analyse plutôt positive de la pratique professionnelle. L’entretien motivationnel a un impact positif chez les praticiens orientant leur consultation dans ce sens.

L’impuissance dans laquelle se situait parfois le professionnel avant de pratiquer l’EM diminue avec cette pratique, ce qui permet d’augmenter son SEP. On retrouve moins de frustration chez plusieurs médecins. Leur pratique est congruente avec leurs valeurs et avec leur éthique professionnelle. Ils ressentent une amélioration de la relation thérapeutique, évoquant de moins en moins de conflit et un confort bilatéral dans cette relation d’aide. Le patient reprend sa place « au centre de la consultation », la relation soignant-soigné est mieux vécu des deux côtés. La consultation est plus riche d’informations due à un questionnement non directif.

Le professionnel reprend confiance en lui dans la mesure où son SEP est amélioré, de plus les retours positifs des patients permettent d’augmenter l’estime de soi (confiance en soi, vision de soi et amour de soi). Les médecins utilisent davantage de renforçateurs sociaux et sont renforcés dans leur pratique. Les médecins se sentent davantage à l’écoute avec l’utilisation de cette technique.

Sur le plan personnel, l’étude démontre une certaine gêne à l’utilisation de l’EM dans la sphère familiale. Il ne parait pas licite de l’employer avec ses proches, si le changement envisagé nous procure un bénéfice personnel. Toutefois les compétences acquises avec la pratique de l’EM, l’état d’esprit qui en découle avec, entre autre, le respect de l’autonomie, la collaboration, l’empathie et la qualité d’écoute, influencent implicitement (et positivement) la relation aux autres, même en dehors de la vie professionnelle.

Par ailleurs, l’EM semble parfaitement applicable en médecine générale dès lors qu’il s’agit d’envisager chez nos patients un changement de comportement, d’autant plus que l’EM n’est pas chronophage voire peut permettre un gain de temps, dès lors que le praticien est à l’aise avec sa pratique.

La plupart des médecins interrogés sur leur niveau en EM et leur souhait de formation, parlent de « progression permanente ». Tous sont désireux de se former davantage, ce qui montre encore une fois leur attachement à l’EM.

Comment faire connaitre l’EM et permettre à un plus grand nombre de médecins d’en bénéficier ? En effet, l’EM s’apprend ; mais de combien de temps dispose un généraliste, après ses journées de consultations et les heures de travail administratif, pour s’octroyer du temps de formation ?

Une voie intéressante serait alors de former les étudiants en médecine.

Il serait pertinent de réfléchir à de nouvelles modalités d’enseignement de l’EM lors du cursus des études médicales, comme le font nos voisins suisses. Les jeunes docteurs en médecine arriveraient ainsi« mieux armés » pour affronter leur pratique médicale débutante !