La prise en charge des personnes présentant un risque suicidaire important est une question complexe qui ne peut appeler de réponse simple. Le sujet mobilise fortement les soignants qui, face à l’incertitude de l’évaluation du risque et les conséquences dramatiques de certains gestes, sont parfois particulièrement démunis pour définir une conduite à tenir. C’est pour tenter d’apporter un éclairage sur cette question que Britton et coll. se sont intéressés au rôle joué par la motivation intrinsèque dans la réduction de la suicidalité. Un intérêt théorique, basé sur la théorie de l’autodétermination, et clinique avec l’utilisation de l’entretien motivationnel pour l’accompagnement des personnes présentant des idées suicidaires aiguës.

On estime que 90 % des individus qui sont décédés par suicide présentaient un ou plusieurs troubles psychiatriques. Pourtant, seuls 35 % avaient bénéficié d’un traitement psychothérapeutique ou psychiatrique. Partant de ce constat, les auteurs soulignent la nécessité de mettre en place des interventions favorisant le développement de la motivation intrinsèque des sujets à s’engager dans un traitement de leurs troubles. S’appuyant sur les principes de la théorie de l’autodétermination (Self-Determination Theory), ils rappellent que le comportement des personnes aura plus de chance de reposer sur leur motivation intrinsèque si leur environnement social soutient leurs besoins fondamentaux d’autonomie, de compétence et de lien social. Par leurs interventions, les cliniciens peuvent favoriser le développement d’une motivation intrinsèque des clients à se soigner.

Il est particulièrement ardu d’évaluer le risque suicidaire. Quand un intervenant réussit à le faire, il reste difficile de définir une intervention pertinente et efficace. Une telle situation, associée au caractère létal du risque, peut engendrer de l’inquiétude pour l’intervenant quant à ses capacités à gérer la situation, une inquiétude qui altère ses compétences. Par ailleurs, des aspects éthiques et légaux peuvent conduire le thérapeute à souhaiter agir de manière contraignante pour réduire le risque suicidaire (contrat de « non–suicide » ou hospitalisation de courte durée, par exemple). Des mesures dont l’efficacité est faible et temporaire.

Des travaux ont commencé à s’intéresser aux éventuels liens existants entre l’autonomie perçue par le sujet et la crise suicidaire. Dans une enquête sur le suicide de personnes atteintes d’un cancer, Filiberti et coll. ont ainsi relevé que les patients avaient souffert d’un sentiment de perte d’autonomie et d’indépendance, vivaient difficilement leur dépendance à l’égard des autres et craignaient de voir leur perte d’autonomie s’accentuer. La mise en place d’interventions cherchant, par un climat empathique et collaboratif, à favoriser le sens de l’autonomie permettrait de réduire la suicidalité selon certains travaux. Ceci conduit Britton et coll. à s’intéresser à l’articulation de la théorie de l’autodétermination et de l’entretien motivationnel2 dans l’accompagnement de sujets présentant un risque suicidaire.

Les auteurs définissent ainsi au travers de cet article les contours d’une intervention basée sur la TAD et l’EM. Cette approche repose sur l’idée que les personnes valorisent naturellement les activités bénéfiques pour leur santé et leur développement. En supportant leur autonomie, leur capacité à agir et leur sociabilité, les cliniciens vont favoriser l’activation de la motivation intrinsèque des clients et ainsi accroître leur engagement dans un traitement et les résultats de celui-ci. Cette démarche s’accompagne également de l’utilisation de la motivation extrinsèque quand cela est nécessaire, en cherchant à favoriser son internalisation. Les principes clés de cette intervention sont :

  • Comprendre le point de vue du patient,
  • Aider les clients à percevoir les différents choix qui s’offrent à eux et leur permettre de faire des choix dans les traitements ou thérapies qui seront mis en oeuvre,
  • Fournir des explications signifiantes pour le sujet, c’est-à-dire congruentes avec ses valeurs et ses objectifs personnels,
  • Soutenir l’autonomie personnelle de tous les patients, et non pas uniquement de ceux qui semblent l’apprécier ou y être sensibles a priori,
  • Soutenir la compétence perçue des clients,
  • Développer les qualités relationnelles du lien thérapeutique.

Ces principes issus de la théorie de l’autodétermination s’articulent sans difficulté avec la pratique de l’entretien motivationnel, l’un et l’autre, partageant de nombreux points communs. Britton et coll. proposent donc une approche inspirée de l’EM pour prendre en charge les idées suicidaires (Motivational Interviewing-Suicidal Ideation). Une intervention qui va chercher à soutenir l’autonomie du patient, à le renforcer dans ses capacités à gérer les moments difficiles qu’il peut traverser et à favoriser une version appropriée à la crise suicidaire du discours-changement (change talk) : le discours-vivre (living talk). Deux exemples de l’utilisation de cette approche sont présentés par les auteurs de l’article. Ils permettent d’entrevoir les perspectives importantes offertes par l’EM et la TAD dans l’adhésion thérapeutique, que celle-ci concerne l’engagement dans une prise en charge ou la prise d’un traitement médicamenteux. Un article intéressant pour approfondir la question de l’internalisation de la motivation extrinsèque que soulève la nécessité pour un patient d’intégrer un traitement ou un suivi thérapeutique dans son quotidien.