Nos travaux dans le domaine de l’accompagnement de personnes atteintes de maladies chroniques nous ont amené à nous intéresser plus particulièrement en 1996 aux difficultés qu’elles rencontrent en matière d’observance thérapeutique de leurs traitements, souvent lourds et dont le succès thérapeutique dépend d’un haut degré d’observance devant persister dans la durée. En 1999, nous avons conçu, implanté et développé le modèle d’intervention MOTHIV dans le domaine de l’observance thérapeutique des traitements antirétroviraux contre le VIH/sida. Son efficacité a été démontrée par une étude randomisée conduite au CHU de Nice et mise en place par l’unité 379 de l’INSERM de Marseille1, 2.

MOTHIV est un programme qui se déroule sur la base d’entretiens individuels (3 à 8 entretiens) dont l’objectif principal est d’aider les patient(e)s à atteindre et à maintenir le haut degré d’observance requis par leur traitement pour bénéficier d’un succès thérapeutique (dans les traitements antirétroviraux, le degré d’observance requis est supérieur à 95%). Il a donné lieu à une définition opérationnelle de l’observance thérapeutique que nous avons construite pour les fins de l’étude clinique afin de délimiter les domaines à explorer régulièrement dans les entretiens. « L’observance thérapeutique désigne les capacités d’une personne à prendre un traitement selon une prescription donnée. Ces capacités sont influencées positivement ou négativement par des co-facteurs cognitifs, comportementaux, sociaux et émotionnels qui interagissent entre eux.»3

MOTHIV s’appuie sur quatre postulats propres à la prise d’un traitement au long cours dans le cadre d’une maladie chronique. Ces postulats relèvent bien de la philosophie et des principes de base de l’entretien motivationnel développé par Miller et Rollnick4.

La personne ne doit pas disparaître derrière son traitement.

Cette approche, dans le monde médical habitué à décrire le patient par ses constantes et ses résultats bio-cliniques, est une approche centrée sur la personne et non sur sa maladie. Il s’agit d’emblée de s’intéresser à ce que la personne vit, pense, et ressent. La prise du traitement intervient naturellement et le plus souvent à l’initiative de la personne. Si le traitement n’est pas évoqué d’emblée, l’intervenant pose une question ouverte sur la place des traitements dans la vie de la personne. Aider une personne à prendre un traitement, c’est parler un peu de médicaments et beaucoup de la vie qui va avec.

La motivation est un processus dynamique qui se génère et se maintient sous certaines conditions

Il n’existe pas de lien évident ou immédiat entre la prescription d’un traitement par un médecin et l’adhésion de la personne à ce traitement. Il est donc fondamental d’aider la personne à construire sa motivation intrinsèque à son traitement. Dans certaines pathologies, cela peut prendre plusieurs mois car la prise du premier traitement de fonds réactive le choc de l’annonce du diagnostic. Par ailleurs, la motivation n’est pas un trait identitaire, et elle ne repose pas exclusivement sur la personne. Cette caractéristique remet en question les pratiques sanitaires qui consiste à refuser de traiter un patient sous prétexte qu’il n’est pas motivé. La question à se poser est : que faisons nous dans notre service ou dans notre unité de soins pour aider certains de nos patients à construire leur motivation au soin et leur adhésion thérapeutique ?

L’observance dépend des stratégies d’ajustement de la personne au traitement mais aussi à sa maladie et à son histoire thérapeutique

MOTHIV consacre du temps à retracer avec la personne son parcours thérapeutique, les différentes étapes par lesquelles elle est passée, en l’aidant à repérer les stratégies d’ajustement qu’elle a utilisé (ex : recherche d’information et de soutien, conduite d’auto-sabotage, ré-évaluation des valeurs…). Il est important de travailler avec la personne le sens qu’elle donne à ce qui lui arrive en mettant en évidence la mobilisation de ses capacités de résilience.

Il faut anticiper avec la personne un ensemble d’incidents critiques et la doter de compétences pour y faire face

Il est important d’aider la personne à anticiper sans culpabilité les ruptures d’observance qui surviendront au cours de son traitement. Ces ruptures ne sont pas sans rappeler le concept de rechute travaillé dans l’entretien motivationnel comme une série d’essais successifs. MOTHIV5 prépare la personne à utiliser en situation des compétences acquises lors des entretiens au travers de simulation de situations critiques pouvant survenir à tout moment dans sa vie personnelle, familiale et sociale (visite inopinée de la famille, vomissements, oubli des médicaments lors d’un voyage…).

Depuis 1999, nous avons développé et adapté MOTHIV dans plusieurs sites hospitaliers en France et à l’étranger. Nous l’avons aussi adapté à différents moments thérapeutiques6 au cours desquels nous avons retrouvé des équivalents des différentes étapes, décrites par Prochaska et Di Clemente7, qui mènent au changement. Dans le cas de la préparation au traitement, il s’agit de soutenir la personne dans l’initialisation d’une primo-observance. Dans la cas de rupture totale d’observance, il s’agit d’accompagner la personne en prenant en compte sa situation face au traitement (refus de traitement, perte de confiance en son auto-efficacité…).

Enfin, depuis trois ans, nous développons une approche motivationnelle dans le domaine des maladies chroniques comme la sclérose en plaques, le cancer, la maladie de Crohn, l’insuffisance rénale chronique sévère. Dans la sclérose en plaques8, par exemple, le programme a pour objectif d’aider des personnes à se préparer à leur premier traitement de fond, sachant qu’elles peuvent choisir parmi les traitements existants celui qui leur convient le mieux. Ce programme est développé dans le cadre d’ateliers thérapeutique (2 x 2 jours) réunissant huit personnes atteintes de SEP et leur entourage proche.

Catherine Tourette-Turgis est Maître de Conférences au département des sciences de l’éducation, Université de Rouen, Laboratoire de recherche CIVIIC. Lennize Pereira-Paulo est responsable du département d’éducation thérapeutique de l’organisme Comment Dire, Paris.

Références