Dans une volonté évidente de faciliter l’accès à la pratique de l’entretien motivationnel, Rollnick, Miller et Butler ont publié en 2008 l’incontournable Pratique de l’entretien motivationnel, Communiquer avec le patient en consultation, enfin offert en traduction par InterÉditions.

Nous avions tous été conquis par la vision novatrice de l’entretien motivationnel présentée en 2002 par ces deux mêmes auteurs et traduit en 2006 dans L’entretien motivationnel, Aider la personne à engager le changement. La présentation en deux phases du processus motivationnel avait alors permis d’identifier l’importance des raisons susceptibles de mener au changement (par l’exploration et la résolution de l’ambivalence) de même que des façons propices à l’actualisation du changement (par le développement de la confiance) – ce qui se résumait au « pourquoi » et au « comment » dans la pratique. Pratique de l’entretien motivationnel, Communiquer avec le patient en consultation offre aujourd’hui une même rigueur dans l’approche de l’entretien motivationnel, sans jamais se détourner de ces objectifs fondamentaux. La grande différence du présent ouvrage se situe dans une évolution pertinente du point de vue, nous amenant à considérer sous un nouvel angle le discours changement. Ainsi, l’usage du style de communication nommé « guider », par lequel ont été introduits les trois façons fondamentales de communiquer Interroger, Écouter et Informer, se voit consolider par la présentation de six types de discours changement (DCRB) dans la période du pré-engagement et dans la période de l’engagement (EP).

On l’aura compris, l’important étayage que représente Pratique de l’entretien motivationnel, Communiquer avec le patient en consultation vise un approfondissement théorique qui ne se fait jamais au détriment de son application pratique. Comme on peut le lire :

« L’entretien motivationnel n’est pas une technique pour entraîner les gens à faire ce qu’ils ne souhaitent pas faire. C’est plutôt un style clinique subtil pour opérer un changement de comportement dans l’intérêt de la santé. Cela implique que l’on guide plus qu’on ne dirige, que l’on danse plus qu’on ne lutte, que l’on écoute plus que l’on ne parle. L’esprit général de l’EM a été décrit comme étant collaboratif, favorisant l’évocation et valorisant l’autonomie du patient. » (p. 16)

Les auteurs situent bien ainsi que l’entretien motivationnel ne cherche pas à remplacer la façon de faire actuelle des professionnels de la santé, mais vise plutôt à enrichir les compétences relationnelles déjà en place. Il apparaît ainsi que l’entretien motivationnel s’avère plus efficace lorsqu’il s’ajoute à un autre traitement. En fait, le livre met en lumière le rôle majeur du professionnel dans l’influence qu’il peut avoir sur la motivation de son patient et sur le fait fondamental que personne n’est privé de motivation.

« La grande différence du présent ouvrage se situe dans une évolution pertinente du point de vue, nous amenant à considérer sous un nouvel angle le discours changement »

De là, Rollnick, Miller et Butler reprennent l’idée de l’ambivalence en soulignant l’importance de la dénouer – ce qui constitue non seulement le cœur du processus de l’entretien motivationnel, mais aussi et surtout son objectif même. L’ambivalence y est ainsi définie comme une phase naturelle dans le changement, où le parcours type mène le patient à commencer par « penser à une raison de changer, puis à penser à une raison de ne pas changer et, enfin d’arrêter d’y penser.» (p. 55) Cette dernière étape représente précisément le défi de l’entretien motivationnel – le lieu-même de sa nécessaire efficacité. Car il importe en effet d’éviter que la personne « arrête d’y penser », qu’elle se stabilise dans un statu quo, au profit plutôt de l’évocation du versant de l’ambivalence, toujours en cohérence avec les valeurs propres au patient pour le changement.

Cette relation particulière qu’instaure l’entretien motivationnel entre le professionnel et son patient souligne, bien sûr, le rôle premier de la communication. Cela dit, plutôt que de voir en l’entretien motivationnel une simple méthode de communication, les auteurs préfèrent ici le considérer comme un style de communication, évitant ainsi l’écueil d’un dogme. En effet, le type de communication mis de l’avant dans l’entretien motivationnel réduirait sa portée en niant l’apport d’autres styles, tels ceux qui permettent de suivre ou de diriger. Il est clair que là n’est pas l’enjeu premier de l’EM, mais il demeure que le professionnel qui pratique l’entretien motivationnel doit d’abord et avant tout servir de guide. En ce sens, il se doit d’adapter ponctuellement son intervention, dans un équilibre entre un mode suivre et diriger. Les auteurs invitent ainsi le lecteur à comprendre l’importance d’un style « guider » en lui présentant des moyens d’optimiser sa fonction de guide :

  • Suivre n’a pas d’autre objectif que de voir et de comprendre le monde comme le voit celui qu’on écoute (p. 27)
  • Diriger, c’est assurer la prise en charge minimalement au cours de l’entretien. Ce qui implique une relation asymétrique en termes de savoir d’expertise, d’autorité ou de pouvoir (p. 27)
  • Guider doit permettre de garder une balance délicate entre être suffisamment proche de la personne pour comprendre son ressenti, être empathique et garder son rôle de professionnel de santé (p. 212)

« On guide plus qu’on ne dirige, on danse plus qu’on ne lutte, on écoute plus qu’on ne parle »

Bref, « je peux vous aider à résoudre ceci par vous-même » (p. 28) devrait demeurer l’angle d’approche premier de l’entretien motivationnel car, comme le soulignent les auteurs, guider « n’est pas seulement ce qu’on dit aux patients, mais c’est aussi la façon dont on est avec eux » (p. 193). Et c’est sans doute l’une des grandes qualités de ce nouvel ouvrage : poser d’abord la question de la posture de l’intervenant avant même qu’il ne s’intéresse à celle d’un patient.

Ainsi, pour s’intéresser aux compétences nécessaires à une communication qui guide, les auteurs identifient trois façons de communiquer, soit : Interroger, Écouter et Informer, qu’ils définissent ainsi :

  • Interroger se traduit par la formulation de questions ouvertes qui permettent l’évocation d’un discours changement. Toutefois, les auteurs avisent qu’ « avec une série de questions vous assumez la charge et implicitement la responsabilité d’apporter une réponse » (p. 67)
  • Écouter implique une attitude de curiosité et d’acceptation de ce qu’est le patient tout au long du processus (p. 96). Cette écoute, en entretien motivationnel, s’illustre principalement par le reflet et le résumé
  • Informer suppose ici qu’au lieu de donner de l’information, on agisse plutôt comme s’il était question d’échanger de l’information (p. 126). En ce sens, les auteurs démontrent l’importance de demander la permission, un peu comme on frappe avant d’entrer (p. 130). Ils proposent une stratégie définie par la formulation demander-fournir-demander et encouragent alors de proposer un menu d’options lorsque des conseils sont demandés

En somme, il faut garder en tête qu’« interroger dans le but de diriger a un tout autre sens qu’interroger afin de mieux suivre ou de mieux guider. Et de même pour écouter ou pour informer » (p. 37).

« l’entretien motivationnel ne cherche pas à remplacer la façon de faire actuelle des professionnels de la santé, mais vise plutôt à enrichir les compétences relationnelles déjà en place »

À partir d’un style « guider » – dont le but est l’exploration et la résolution de l’ambivalence, la volonté première est donc celle de faciliter l’évocation du discours changement. Les auteurs identifient six types de discours changement auxquels il faut être attentif, soit l’expression des Désirs, des Capacités, des Raisons et des Besoins (DCRB), et ce, lors du pré-engagement au changement de même qu’au discours lors de l’Engagement et des Premiers pas (EP) au changement. Lorsque ces types de motivation sont exprimés, les mécanismes psychologiques du changement s’enclenchent. Ce sont alors le discours d’Engagement et des Premiers pas qui prédisent l’actualisation d’un changement. De plus, le DCRB permet d’être en contact avec les valeurs et les aspirations de la personne, sur ce qui compte pour elle. Les auteurs encouragent l’intervenant à familiariser ses oreilles pour reconnaître et soutenir le discours changement, car « les expressions de discours-changement ne déclenchent pas systématiquement d’elles-mêmes le changement, elles annoncent le renforcement de l’engagement vers le changement » (p. 63).

Pour clore ce bref survol de Pratique de l’entretien motivationnel Communiquer avec le patient en consultation, on doit souligner la grande qualité de sa présentation qui donne la belle part à l’aspect pratique de l’entretien motivationnel. Cette attention se voit également mise en pratique formellement dans l’ouvrage par l’utilisation de nombreuses métaphores qui permettent une meilleure préhension des nouveaux concepts présentés. Ainsi, pour conclure sur l’intégration de l’entretien motivationnel, les auteurs proposent que « c’est un peu comme apprendre à conduire une voiture. La première fois que vous vous êtes retrouvé assis derrière le volant, vous vous sentiez probablement et naturellement extrêmement intimidé. Vous avez conduit lentement, très prudemment, essayant de ne pas vous écarter de votre file. Vous aviez à vous concentrer sur les tâches indispensables à l’intérieur de la voiture, tout en gardant un œil à l’extérieur pour être sûr de n’écraser personne. Vous aviez à veiller à votre direction tout en vous occupant de nouvelles tâches. Mais vous n’avez pas arrêté d’apprendre à conduire juste parce que vous ne trouviez pas ça naturel » (p. 194). Merci à Rollnick, Miller et Butler, ainsi qu’à Philippe Michaud, Dorothée Lecailler et Émeric Languérand, leurs traducteurs, de nous ouvrir une voie vers ce naturel !

Et bonne conduite !