La question du déni supposé du patient est un thème récurrent dans les réflexions et des débats sur la prise en charge des personnes souffrant d’une addiction. Mais cette préoccupation pour le déni n’est-elle le signe d’un mouvement dilatoire qui nous éloignerait de la véritable question qui se pose au soignant : celle de la résistance ? Une résistance dérangeante car, loin d’être inhérente au sujet, elle serait plutôt à mettre en lien avec les compétences relationnelles du thérapeute. C’est à cette réflexion sur la résistance que Miller et Rollnick nous invitent dans cet extrait de leur ouvrage sur l’entretien motivationnel.

De nombreuses personnes pensent que la résistance est le fait d’un trait de caractère des patients. Certaines théories psychodynamiques, par exemple, interprètent la résistance comme symptomatique des conflits inconscients et des défenses psychologiques qui se sont mises en place durant la prime enfance. Les mécanismes de défense primitive tels que le déni ont longtemps été considérés comme inhérents à l’alcoolisme, voire un de ses éléments diagnostiques. Dans cette façon de voir, la résistance accompagne le client lorsqu’il pénètre dans la salle de consultation.

Nous remettons en question ce point de vue attribuant l’origine de la résistance aux clients. Au lieu de cela nous mettons l’accent, jusqu’à un certain point, sur le fait que la résistance apparaît par le biais d’une interaction interpersonnelle entre l’intervenant et le client. Dans la plupart des écrits psychothérapeutiques c’est en fait un phénomène qui n’apparaît que dans le contexte de la psychothérapie. La recherche démontre clairement qu’un changement dans le style d’entretien peut directement affecter le niveau de résistance du client, l’aggravant ou la diminuant. Ceci suggère une manière pratique d’envisager la résistance, ici et maintenant : nous pouvons intervenir sur ce phénomène qui n’est pas fixé.

Mais qu’appelle-t-on résistance ? Il s’agit d’un comportement observable du client survenant dans le cadre thérapeutique, et qui représente un signal important de dissonance dans le processus de conseil. La personne ne peut nous suivre et c’est une manière pour elle de nous dire : « Attendez une minute ; je ne suis plus avec vous ; je ne suis pas d’accord ». Quand ce signal survient, l’attitude adaptée consiste à la fois à comprendre les raisons du comportement de résistance et de la dissonance dans la relation, et à y répondre. Il faut pour cela reconnaître le comportement de résistance comme un signal. Il vaut également la peine de se rappeler ici, que la résistance, comme le discours-changement, concerne spécifiquement un changement donné. Tel client, par exemple, peut être résistant à l’idée d’arrêter le cannabis mais tout à fait motivé pour arrêter la cocaïne.

Mais la résistance, c’est plus qu’une information utile sur le processus relationnel. La résistance au début de la rencontre thérapeutique est associée à l’abandon du traitement, et plus une personne résiste durant une intervention, moins il est probable qu’elle s’oriente vers un changement de comportement.

Ainsi les réponses résistantes sont normales durant l’intervention et ne doivent pas être une source d’inquiétude. En médecine, on parle de résistance quand le système immunitaire fonctionne bien. La résistance et le discours-changement sont comme des signaux du trafic routier qui nous disent d’aller en avant, de faire attention, de ralentir ou d’arrêter. Les moyens de changer ces signaux existent. L’apparition d’un feu rouge est normale et plutôt utile (à moins d’être vraiment très pressé). C’est un problème seulement si le feu reste au rouge ou si les réponses de résistance persistent ou augmentent pendant la séance ou au cours du traitement.

Votre style relationnel va alors largement influencer la suite des événements. C’est votre façon de répondre à la résistance du client qui fait la différence et qui distingue l’entretien motivationnel des autres approches. Si la résistance augmente durant votre intervention c’est très probablement en réponse à quelque chose que vous êtes en train de faire.

Derrière cet argument, une autre hypothèse de travail de l’entretien motivationnel est implicite : la résistance persistante n’est pas un problème du client, mais plutôt en relation avec les compétences de l’intervenant. Cette hypothèse peut sembler pour le moins exagérée. Certains clients, par exemple, peuvent être fortement résistants, indépendamment de l’approche thérapeutique choisie; il y a des exceptions à chaque règle. Nous reconnaissons aussi que certaines personnes entrent en traitement avec des niveaux de résistance différant très largement. Quelques-uns uns arrivent vraiment en colère et défensifs et il est bien prouvé que l’entretien motivationnel peut être particulièrement efficace chez de tels clients1. Les clients en obligation de soins sont classiquement décrits comme montrant plus de résistance initiale que les clients qui viennent d’eux mêmes2. Néanmoins, la recherche démontre clairement que l’ampleur de la résistance est massivement déterminée par le style de l’intervention. On peut en déduire qu’un changement de style de la part de l’intervenant va diminuer ou augmenter la résistance et qu’il est plutôt souhaitable de la diminuer parce que cela est prédictif d’un changement durable. Ceci signifie aussi, que vous pouvez en partie juger de votre efficacité dans l’entretien motivationnel en étant attentif aux réponses du client.

Ce texte est extrait de : William R. Miller, Stephen Rollnick, Dorothée Lecailler (traduction), Philippe Michaud (traduction). L’entretien motivationnel : Aider la personne à engager le changement. 2006. Dunod.

  • 1 – Projet MATCH Research Group (1997b).
  • 2 – Chamberlain, Patterson, Reid, Kavanagh, & Forgatch (1984).