L’extrait ci-dessous est tiré d’un roman célèbre écrit en 1874. Le personnage énumère des constats qui interrogent, mais pourraient s’expliquer. Lorsqu’il les rapproche les uns des autres dans un résumé final, il permet à ses interlocuteurs de considérer la situation dans son ensemble sous un angle qui étaie son hypothèse. Au fait, saurez-vous retrouver qui en est l’auteur, et dans quel roman ? (la réponse en fin d’article 🙂

Philippe Michaud

[NDLR : Les autres précurseurs de l’EM dénichés par Philippe Michaud se trouvent par ici]

« Mes amis, je crois devoir appeler votre attention sur certains faits qui se sont passés dans l’île, et au sujet desquels je serais bien aise d’avoir votre avis. Ces faits sont pour ainsi dire surnaturels.

– Surnaturels ! S’écria le marin en lançant une bouffée de tabac. Se pourrait-il que notre île fût surnaturelle ?

– Non, Pencroff, mais mystérieuse, à coup sûr, répondit l’ingénieur, à moins que vous ne puissiez nous expliquer ce que, Spilett et moi, nous n’avons pu comprendre jusqu’ici.

– Parlez, Monsieur Cyrus, répondit le marin.

– Eh bien ! Avez-vous compris, dit alors l’ingénieur, comment il a pu se faire qu’après être tombé à la mer, j’aie été retrouvé à un quart de mille à l’intérieur de l’île, et cela sans que j’aie eu conscience de ce déplacement ?

– À moins que, étant évanoui… dit Pencroff.

– Ce n’est pas admissible, répondit l’ingénieur. Mais passons. Avez-vous compris comment Top a pu découvrir votre retraite, à cinq milles de la grotte où j’étais couché ?

– L’instinct du chien. répondit Harbert.

– Singulier instinct! fit observer le reporter, puisque, malgré la pluie et le vent qui faisaient rage pendant cette nuit, Top arriva aux cheminées sec et sans une tache de boue !

– Passons, reprit l’ingénieur. Avez-vous compris comment notre chien fut si étrangement rejeté hors des eaux du lac, après sa lutte avec le dugong ?

– Non! Pas trop, je l’avoue, répondit Pencroff, et la blessure que le dugong avait au flanc, blessure qui semblait avoir été faite par un instrument tranchant, ne se comprend pas davantage.

– Passons encore, reprit Cyrus Smith. Avez-vous compris, mes amis, comment ce grain de plomb s’est trouvé dans le corps du jeune pécari, comment cette caisse s’est si heureusement échouée, sans qu’il y ait eu trace de naufrage, comment cette bouteille renfermant le document s’est offerte si à propos, lors de notre première excursion en mer, comment notre canot, ayant rompu son amarre, est venu par le courant de la Mercy nous rejoindre précisément au moment où nous en avions besoin, comment, après l’invasion des singes, l’échelle a été si opportunément renvoyée des hauteurs de Granite-House, comment, enfin, le document qu’Ayrton prétend n’avoir jamais écrit est tombé entre nos mains ? »

Cyrus Smith venait d’énumérer, sans en oublier un seul, les faits étranges qui s’étaient accomplis dans l’île. Harbert, Pencroff et Nab se regardèrent, ne sachant que répondre, car la succession de ces incidents, ainsi groupés pour la première fois, ne laissa pas de les surprendre au plus haut point.

« Sur ma foi, dit enfin Pencroff, vous avez raison, Monsieur Cyrus, et il est difficile d’expliquer ces choses-là ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'ile mystérieuse, Jules Verne